Avant de commencer à expliquer les cuissons basse température, je souhaite essayer de définir ce qu’est une cuisson. Les avis peuvent être partagés. Selon le Larousse cuire c’est soumettre un aliment à l’action de la chaleur pour le consommer.
L’ethnologue français Claude Lévi-Strauss, un des principaux représentants du structuralisme, qui a notamment étudié comment s’établissent les relations de parenté dans d’autres cultures que la nôtre, a opposé le cru et le cuit. C’est une vieille idée, qui trouve notamment sa matérialisation dans des citations telles que «Chaque civilisation a la connaissance de son feu.» (Desmond Morris) ou bien «Pour connaître la mentalité d’un pays, il faut consulter deux livres : un livre de droit et un livre de cuisine.» (Philosophe chinois Lin Yutang).
Hervé This (Physico chimiste français, chercheur à l’INRA et père fondateur de la science de la gastronomie moléculaire avec Nicholas Kurti), nous propose une réflexion différente. L’expérience, qui selon lui, doit toujours précéder la théorie sous peine de spéculation insensée, conduit à d’étranges idées : prenez un blanc d’œuf et ajoutez-y un verre d’alcool fort. L’œuf coagule aussitôt. C’est une sorte d’œuf poché que l’on obtient. La structure microscopique reste à élucider, mais sans attendre nous observons que l’apparence extérieure est vraiment analogue à celle d’un œuf poché. Or si le blanc d’œuf n’a pas été chauffé, en vertu d’une réaction chimique inconnue, il est «cru», semble-t-il. S’il est poché, il est cuit. Alors, cru ou cuit ? Il dit ne pas jouer sur les mots car les cuisiniers eux-mêmes parlent de la «cuisson des poissons à la tahitienne», lors de l’ajout de jus de citron vert, qui transforme le poisson, au départ cru, en un produit analogue en tout point au poisson cuit… sauf en ce qui concerne l’échauffement, qui n’a pas eu lieu. D’où la question : qu’est-ce que cuire ? L’étymologie ne nous dit pas que le feu soit nécessaire, même si le bon sens nous dit qu’il est suffisant.
Toute une chimie
Il poursuit en se demandant si la transformation chimique pourrait être une base de la non-crudité, ce qu’il propose de nommer la «coccité» (de la racine indo-européenne «kok» qui signifiait «mûrir», «maturer», se développer», «cuire», «chauffer»). Si l’on nomme cuisson la coagulation qui a lieu quand on met de l’alcool dans l’œuf, n’importe quel aliment qui est tiré du vivant et rendu inanimé (le légume que l’on découpe pour faire des crudités, la viande d’une carcasse) n’est plus cru et jamais l’humanité n’a mangé du cru. Des paléoanthropologues ont supposé que, avant l’invention du feu (ou sa découverte ?), nos ancêtres étaient des charognards, qui se seraient notamment nourris de viande bien faisandée qu’il faut considérer comme une opération culinaire ou non.
Enfin, il nous propose une autre piste pour ceux et celles qui seraient férus de calcul et qui récusent les iconoclastes idées précédentes (quoi, Lévi-Strauss contesté ?). A partir de quelle température, si l’on chauffe, doit-on considérer qu’un aliment est cuit ? A la température ambiante, dans l’hypothèse classique, l’aliment est cru. Mais en plein soleil, au Sahara, quand la température avoisine les 55 degrés ? La première transformation chimique de la viande que l’on «cuit» (au sens classique du terme) s’opère à 55 degrés, quand le collagène (voir paragraphe et schéma la composition d’un muscle) qui gaine les fibres musculaires commence à se dissoudre dans l’eau environnante. Est-ce la cuisson ? Auquel cas, nos ancêtres d’Afrique n’auraient jamais mangé cru… ni nous-mêmes. On le voit, nous sommes partis ici sur les traces de la cuisine basse température qui nous ramène à notre bon vieux braisage. Autrement dit, nous tournons dans le classique. Plus exactement, la cuisson par conduction est classique parce que c’est la seule que nos ancêtres pouvaient opérer : On produit de la chaleur, le plus souvent du feu, et on met l’aliment en contact de cette dernière, afin de tuer les micro-organismes pathogènes (micro-organismes pouvant causer des maladies chez d’autres organismes ou chez les humains, les animaux et les plantes), d’attendrir (ou de raffermir, selon les circonstances) et de donner du goût. Existe-t-il d’autres possibilités ?
La gastronomie moléculaire est la science des transformations culinaires. La dénomination de cette discipline scientifique récente à été proposée par Nicholas Kurti en 1969 devant la Royal Institution (organisme de bienfaisance indépendant dédié à la connexion des gens avec le monde de la science). Son contenue fût défini et popularisé par Hervé This dans sa thèse en 1988.
Nicholas Kurti (1908-1988) fit l’essentiel de sa carrière au Laboratoire Clarendon d’Oxford. Il se consacra à la physique des basses températures. Honoré par de nombreux prix scientifiques, il fut membre de très nombreuses commissions et de plusieurs académies de sciences.
Carte blanche à Hervé THIS-. Les cuissons modernes sont innombrables, mais qu’est ce que cuire ? http://www.amabilia.com/contenu/bienmanger/carte_blanche_herve_this_10.html
Définition trouvée sur : www.ec.gc.ca/water/fr/info/gloss/f_gloss.htm